Elsa Triolet et la recherche de nom…

On ouvre un livre par simple curiosité, pour se détendre, se cultiver, faire des découvertes… et voilà que l’on se retrouve plongée dans le travail !

 

C’est ce qui m’est arrivé en lisant un ouvrage de… 1938 : Bonjour Thérèse, d’Elsa Triolet.

 

Je savourais tranquillement sa prose, me baladant dans les rues du vieux Paris, à travers « les yeux d’Elsa » si je peux me permettre, lorsque j’ai découvert une description de mon métier !

 

Soit dit en passant, quelle belle écriture que celle d’Elsa Triolet, vive, inventive, mais aussi précise et descriptive…

 

On sent tout de suite que l’on a affaire à une écrivaine véritable (même si l’ouvrage est un premier roman développant plusieurs ébauches d'un même thème). Le talent est là, indéniable. Et je regrette de ne l’avoir pas découvert plus tôt.

 

Donc, au chapitre « Je cherche un nom de parfum », il est question d’une femme, libre, autonome, active, singulière et créative… Cette femme est designeuse, directrice artistique ou conceptrice-rédactrice tout à la fois. Et elle s'empare d'une mission.

 

(La commande)

- « Si vous voulez vraiment gagner de l’argent, trouvez-moi un nom de parfum… Ce qui compte dans un parfum, c’est d’abord la présentation, la boîte, le flacon. Puis le nom… Puis, naturellement, le parfum ».

 

(Le remue-méninges)

- « Ça y est, je suis prise par mon nouveau métier ! Drôle de métier…  Élixir d’amour, Philtre d’amour, Charme, Sortilège… Il faut que ce nom soit facile à traduire en anglais… Pays des Merveilles - Wonderland - La Dame blonde - The fair Lady – Le Jardin secret… et de préférence n’être fait que d’un seul mot… Illusion, Mirage… ».

 

(Le budget)

- « Deux mille francs ! J’irais à la campagne. Ce qu’il doit y faire beau en ce moment. […] Songe, Rêve, Nuit d’été, Lilluli…

 

(Les contraintes)

- « Il y a des milliers de noms enregistrés pour les parfums. Les parfumeurs n’en font rien. Ils les déposent pour tous les cas : en attendant, le dictionnaire y est passé. Si le patron voulait d’une phrase, ce serait plus facile. Mais un mot… ».

 

(La concurrence)

- « Ah, voilà mon « Sortilège » sur une douzaine de flacons dans une devanture de coiffeur ! Ma tête travaille exactement comme la tête de tous ceux qui ont baptisé des milliers de parfums. C’est un peu humiliant. Je veux suivre le développement de leur pensée : c’est le même que suit la mienne. Un autre flacon « Amour-amour ». Je me rends déjà compte que c’est assez malin d’avoir trouvé « Amour-amour »…

 

(La production)

- « Rendez-vous - L’Inoubliable - Champs Élysées - Rue de la Paix - Le Louvre - Narcisses noirs - Quelques fleurs - Scarabée d’or » […]

 - « Voilà ce qui tourne depuis un moment dans la tête. Je m’abrutis… Je comprends maintenant pourquoi on a commencé à numéroter les parfums. Numéro 5… On a encore une fois été malin avant moi. »

 

Ce brainstorming solitaire et ambulant se poursuit, enchaînant les idées de noms, plus ou moins fortuites et décousues, surgies de ce que l’héroïne saisit du regard, ou d'idées associées spontanément. Des noms qui ricochent d’un hasard à l’autre... (dont certains nous disent encore quelque chose, non ?).

 

Aujourd’hui, il y a les méthodes créatives qui canalisent les idées, les enrichissent ou les démultiplient, les ramènent au brief… Il y a ce brief lui-même, autrement plus précis que ce « trouvez-moi un nom », afin de ne pas s’en remettre totalement au hasard ou à la subjectivité.

 

Cependant, les mots d’ Elsa Triolet reflètent bien ce qui se passe dans une tête de concepteur-rédacteur : une moulinette incessante, qui fait que l’on transporte partout la recherche avec soi. Elle infuse lentement intérieurement et se nourrit de tout ce que l’on fait, voit, ou ressent.

 

En trouver la description fidèle sous la plume d’une écrivaine m'a semblé amusant. Il faut dire qu’elle connaissait la vraie vie, le monde du travail et particulièrement celui de la création.

 

Je trouve qu'elle aurait bien mérité qu’on lui rende hommage en signant un parfum de son nom : pourquoi pas « Elsa, Elsa » ? Si vous connaissez un grand parfumeur, je vous invite volontiers à lui soumettre l’idée.

 

© Extraits de "Bonsoir Thérèse", Elsa Triolet. La bibliothèque Française. 1949.

Image : Google, auteur inconnu jusqu'à présent. (Je le prie de bien vouloir m'en excuser par avance).